Une vue de la conférence, de gauche à droite : Charles Nasrallah, l’ambassadeur Juan Carlos Gafo, le ministre Charbel Nahas et le doyen Maroun Boustany. Photo Nasser Traboulsi |
Déterminé à prendre en main le dossier de la main-d’œuvre domestique étrangère, le ministre du Travail Charbel Nahas propose une solution controversée : intégrer cette question au code du travail.
Faut-il ou ne faut-il pas une loi propre à la main-d’œuvre domestique étrangère ? C’est sur cette question qu’a tourné le débat, par moments enflammé, qui s’est déroulé hier à l’Université La Sagesse, sur la protection légale des employées de maison
migrantes au Liban. Un débat qui a mis en exergue la ferme détermination du ministre du Travail, Charbel Nahas, de soumettre la main-d’œuvre domestique migrante à la loi du travail et son refus catégorique d’un projet de loi spécifique à cette catégorie de travailleurs. Mais qui a laissé sans réponse de nombreuses questions sur les moyens envisagés pour y parvenir et pour amener la société libanaise dans son ensemble, autorités et employeurs, à respecter les droits des employées de maison étrangères, qui continuent d’être victimes d’abus au quotidien.
Un dossier qui va à reculons
Assailli de questions, suite à une intervention fort intéressante sur l’histoire du travail à domicile au Liban et les raisons de l’absence de législation, le ministre Nahas s’est carrément emporté devant une assistance sceptique face à sa proposition de gestion du dossier, jugeant inadmissible que les Libanais continuent d’embaucher une main-d’œuvre étrangère dont ils bafouent les droits, alors qu’ils continuent de se presser aux portes des ambassades en quête de travail et de passeports étrangers. « Je suis contre l’enfermement des employées de maison, je suis pour qu’elles aient un horaire de travail fixe, mais avec possibilité de flexibilité dans certains cas précis », a-t-il tempêté, plaidant pour un contrat type de travail, à caractère obligatoire, et refusant l’idée d’une loi spécifique à la main-d’œuvre domestique étrangère. Avant de se retirer face à un auditoire médusé, dont l’ambassadeur d’Espagne, Juan Carlos Gafo, persuadé de la nécessité d’une législation (sous n’importe quelle forme) qui protégerait les droits des travailleurs migrants, et de nombreux représentants d’associations et d’organisations luttant pour les droits de la main-d’œuvre migrante.
Le débat est loin d’être clos. Bien au contraire. Organisé par la faculté de droit de La Sagesse, en collaboration avec l’association Insan, l’organisation espagnole Aida et le ministère espagnol des Affaires étrangères, il montre, plus que jamais, l’urgence du problème et la nécessité de le traiter avec sérieux. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que Charbel Nahas soit déterminé à s’y atteler, à l’heure où, comme l’a si bien dit un diplomate étranger, la situation de la main-d’œuvre domestique étrangère « va à reculons, au lieu de s’améliorer ».
D’autant que le ministre du Travail a fait appel aux conseils d’un brillant avocat, Nizar Saghyeh, dont la réputation n’est plus à faire en matière de défense des droits de l’homme. Mais il semble que M. Nahas ait décidé de repartir à zéro en prenant un chemin nettement opposé à celui de son prédécesseur, Boutros Harb, qui avait présenté, avant la chute du gouvernement Hariri, un projet de loi régissant le travail de la main-d’œuvre étrangère domestique. Un projet fort louable, salué par la société civile, mais qui comprenait néanmoins d’importantes imperfections. À titre d’exemple, il avait fait l’impasse sur la liberté de circulation des employées de maison et sur le montant de leur salaire.
Illégal, le système du garant
Il n’en reste pas moins que la tâche ne s’annonce pas aisée, face aux défis du dossier. Vu les grandes disparités tant au niveau des données statistiques que des solutions proposées. À titre d’exemple, le ministère du Travail estime à 140 000 le nombre d’employées de maison migrantes en situation régulière. Il estime aussi entre 20 000 et 30 000 le nombre de femmes migrantes travaillant en situation irrégulière au Liban. Mais selon Insan, par le biais de son porte-parole Charles Nasrallah, le nombre de personnes en situation irrégulière serait nettement plus important et pourrait atteindre 80 000 personnes, portant le total de la main-d’œuvre étrangère à 220 000 personnes. Un problème qui n’est pas à négliger vu l’extrême précarité de cette population étrangère sans papiers dont les enfants naissent apatrides et sombrent souvent dans la délinquance.
Autre défi du dossier, le système du garant qui régit les relations entre l’employée de maison et son employeur. Un système dénoncé tant par les associations comme Insan que par les ambassades occidentales, au même titre que les pays dont sont originaires les travailleuses étrangères au Liban. Un système qui met l’employée de maison à la merci de son employeur et garant, et la place ainsi en situation d’esclavage. Et pourtant, martèle le ministre Charbel Nahas, « ce qu’on appelle système du garant n’existe pas dans la loi libanaise ». Et de préciser que le terme a été importé des pays arabes où cette pratique est courante. M. Nahas omet toutefois d’expliquer pourquoi la Sûreté générale et le ministère du Travail refusent de donner leurs passeports et leurs papiers justificatifs aux femmes migrantes, mais les remettent en mains propres à leurs employeurs qui les confisquent carrément, comme garantie contre la fuite de leur employée.
L’affaire est à suivre. « Le débat était fructueux, même s’il était orageux », n’a pas manqué de commenter le doyen de la faculté de droit, Maroun Boustany. La balle est désormais dans le camp du ministre du Travail. À lui de prouver sa détermination à traiter un dossier épineux qui n’en finit pas de noircir l’image du Liban et des Libanais. Et qui continue de faire du surplace depuis tant d’années.
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